Des chiffres… astronomiques !
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12,5 milliards d’années… racontées en 100 heures de calcul ! Trois milliards de fois la distance entre le Soleil et Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche de notre galaxie : c’est la taille de la boite numérique dans laquelle une équipe de chercheurs suisse a mis un billion de particules pour réaliser une simulation exceptionnelle, relatée en juin dernier par le magazine « Sciences et Avenir ». Romain TEYSSIER, chercheur au Centre d’Astrophysique et de Cosmologie de l’Université de Zurich, et ses collègues Douglas POTTER et Joachim STADEL, espèrent avec ce calcul contribuer à découvrir des mystères cachés de l’Univers…

La petite histoire raconte que c’est en regardant une pomme tomber au sol que le physicien anglais Isaac NEWTON (1643-1727) a commencé à concevoir la théorie de la gravitation universelle qui porte son nom. Newton a ainsi contribué à formuler les lois de la mécanique classique – à sa façon, le dessinateur Marcel GOTLIB lui a rendu hommage des années durant dans ses Rubriques-à-Brac.

Lois de l’attraction

Planètes, étoiles, galaxies : la force de gravitation décrit par exemple les interactions entre deux corps célestes. Elle est représentée par la formule « F = – G m × m’ / d² u » qui dit que deux corps de masse m et m’ s’attirent selon une force F qui est proportionnelle au produit de leur masse (d’autant plus grand que chacune l’est) à l’inverse du carré de la distance d qui les sépare (d’autant plus petite que la distance est grande). Elle est dirigée comme une flèche u entre les deux corps qui interagissent par l’intermédiaire de la gravité. G est la constante gravitationnelle, immuable comme le nombre π. Les distances qui séparent les objets du cosmos sont très grandes, leurs masses aussi : la force de gravitation joue un rôle prépondérant dans leur interaction. La Lune attire la Terre autant que cette dernière attire son satellite : c’est ce que dit la formule de Newton. Comme cette phrase de Paul VALERY à propos du physicien anglais : « Il fallait être Newton pour apercevoir que la Lune tombe alors que tout le monde voit bien qu’elle ne tombe pas »…

Isaac NEWTON a également posé les bases du calcul différentiel, qui permet de résoudre les équations du mouvement résultant des forces de gravitation. Les trajectoires de corps célestes décrivent des « coniques » : paraboles, hyperboles ou ellipses…

Une formule aussi simple permet par exemple de prédire les éclipses ou le passage d’une comète dans le ciel. Elle est utilisée par les astrophysiciens pour comprendre la structure de notre univers et en raconter l’histoire. Sous l’effet de la gravitation, notre univers acquiert son ordre et son harmonie cachés.

Les trois chercheurs suisses ont réalisé en 2016 l’une des simulations les plus précises à ce jour d’un morceau de notre univers, en utilisant un « modèle à N corps ». Il s’agit de décrire les forces de gravitation agissant sur un grand ensemble de particules de taille différentes et qui représentent les corps célestes présents dans l’univers : étoile, amas d’étoiles, galaxies (comme notre voie lactée) de petite ou grande taille, naines ou supernova, amas de galaxies, etc.

Chiffres vertigineux

Les chiffres de la simulation sont à proprement parler astronomiques ! Une boite numérique carrée, dont un côté mesure 3 milliards de parsec, contient un billion de particules (un million de millions ou mille milliards). Le parsec est une unité de mesure des « grandes distances » utilisées en astronomie : 1 parsec correspond à 3 années lumières, la distance parcourue à la vitesse de 300.000 km/s par la lumière en trois ans. C’est également la distance qui sépare le Soleil d’Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche de notre galaxie. La taille du domaine de simulation représente 3 milliards de fois cette distance…

La simulation permet de représenter des galaxies de taille dix fois moins importante que notre voie lactée, ce qui correspond par exemple à l’amas d’étoiles du grand nuage de Magellan. La simulation est réalisée sur des temps couvrant la durée de vie de l’univers, soit près de 12,5 milliards d’années. En un peu moins de 100 heures de calcul !

Le Big Bang, instant de vie initial de notre univers correspond au temps zéro. Les astrophysiciens ne disposent en réalité pour débuter leur simulation que de données fiables à partir du moment où l’univers est suffisamment organisé pour que les forces de gravitation prennent le dessus sur les autres forces qui sont entré en action dans les premières phases de vie de l’univers. Ces données sont datées entre 1 et 10 millions d’années environ après le Big Bang ; elles sont accessibles au moyen d’observation dans l’espace – pour voir dans un passé lointain, on regarde loin dans l’espace grâce à la puissance de télescopes comme Hubble.

Percer les mystères de l’univers…

Au jour de la simulation, la précision qu’elle permet est jugée très satisfaisante par les astronomes et les astrophysiciens. Elle représente les endroits où la matière s’est organisée dans l’Univers sous l’effet de la gravitation et fournit des données de calcul suffisamment précises pour être comparées à des observations qui seront réalisées sur le cosmos dans quelques années. Jusqu’à maintenant, les calculs n’avaient pas la précision requise pour rendre ces comparaisons pertinentes.

La simulation est rendue possible grâce à deux innovations.

  • L’utilisation d’algorithmes de calcul particulièrement efficaces pour gérer les interactions entre très grands nombres de particules. Calculer directement les interactions entre N particules nécessite de l’ordre de N×N=N2 opérations. Une méthode appropriée, la méthode multipolaire rapide, permet de réduire considérablement le nombre d’opérations de calcul. Elle consiste à représenter les interactions d’une particule avec les autres au moyen d’un arbre, là où l’approche directe la représente au moyen d’un réseau. On gagne ainsi en nombre d’opérations, il n’en faut plus que N. Pour un millier de milliards de particules, la différence entre N2 et N est nette : dans le premier cas, il est impossible d’espérer une simulation… dans le second, c’est tout-à-fait possible ! La validation de la simulation est obtenue en comparant un calcul direct et un calcul optimisé sur un échantillon de quelques millions de particules ; le calcul sur le billion de particules est en revanche réalisé avec l’algorithme optimisé – impossible de la faire autrement !
  • Le recours à des supercalculateurs exploitant la capacité de calcul offertes par les cartes graphiques, développées par l’industrie du jeu vidéo en particulier. 4000 cartes graphiques ont été mises en parallèle sur le supercalculateur du Centre de Calcul National Suisse, dont les performances et l’architecture sont à ce jour uniques au monde. Le temps de calcul sur GPU est de l’ordre de 100 heures – par comparaison, la durée d’un calcul parallèle sur le même nombre de processeurs CPU est estimée à… 20 ans !

Le code de calcul résulte d’un travail de développement d’une vingtaine d’années et son adaptation aux spécificités de cette simulation a pris environ trois ans. Le portage du code sur d’autres supercalculateurs devrait permettre des simulations avec 10 ou 100 fois plus de particules… offrant ainsi une plus grande résolution.

L’enjeu est ensuite de détecter la matière cachée de l’univers : cette « énergie noire » dont l’existence et la quantité pourraient remettre en cause les modèles physiques de l’univers, tels que donnés par la théorie de Newton et d’Albert EINSTEIN. Et peut-être son devenir : un enjeu scientifique, autant que philosophique, auquel contribuent les technologies avancées de simulation numérique.

 

Douglas Potter, Joachim Stadel, Romain Teyssier – Beyond trillion particle cosmological simulations for the next era of galaxy surveys, Computational Astrophysics and Cosmology, 2016.